L’intelligence artificielle et le droit d’auteur : état des lieux et perspectives

Les règles de base

Le développement rapide de l’intelligence artificielle (IA), notamment des systèmes génératifs capables de produire textes, images, musiques ou vidéos, bouleverse les fondements du droit d’auteur. Les questions relatives à la protection des œuvres générées par IA, à l’utilisation d’œuvres préexistantes pour l’entraînement des modèles, ainsi qu’à la titularité des droits, suscitent de nombreux débats juridiques et éthiques.

I. L’œuvre de l’esprit et la condition d’originalité à l’épreuve de l’IA

Le droit d’auteur français protège « les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » (article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle). L’originalité, entendue comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur, demeure la condition essentielle de la protection. Cependant, la doctrine majoritaire et la jurisprudence considèrent que seule une personne physique peut être reconnue comme auteur, l’œuvre devant résulter d’une intervention humaine, d’un choix créatif ou d’une « touche personnelle».

Ainsi, la production purement autonome d’une IA, sans intervention humaine identifiable, ne saurait être protégée par le droit d’auteur selon la conception personnaliste dominante. Toutefois, si l’utilisateur de l’IA réalise des choix créatifs déterminants (par exemple, dans la formulation des requêtes ou l’ajustement des paramètres), une protection pourrait être envisagée, à condition que l’originalité soit démontrée.

Cette exigence d’intervention humaine a été récemment confirmée par plusieurs décisions judiciaires, notamment aux États-Unis et en Europe. En août 2023, la justice américaine a explicitement refusé de reconnaître une œuvre générée par une IA comme protégeable, faute d’auteur humain identifiable. En parallèle, le Tribunal de grande instance de La Haye a rejeté en octobre 2023 une action en contrefaçon intentée contre la société Stability AI, faute de démonstration d’une originalité humaine dans les images en cause. Ces premières décisions confortent une approche restrictive du droit d’auteur, centrée sur l’humain, et dessinent les contours d’un consensus juridique international en construction.

II. L’utilisation d’œuvres protégées pour l’entraînement des IA

L’entraînement des systèmes d’IA nécessite l’utilisation massive de données, souvent issues d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Selon la proposition de loi française du 12 septembre 2023,  « l’intégration par un logiciel d’intelligence artificielle d’œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur dans son système et a fortiori leur exploitation est soumise aux dispositions générales du présent code et donc à autorisation des auteurs ou ayants droit ». Ce principe consacre le monopole de l’auteur sur l’utilisation de ses œuvres, y compris pour l’entraînement des IA.

La question de la gestion collective et de la rémunération des ayants droit est également abordée : la proposition de loi prévoit la possibilité d’un mécanisme de gestion collective facultatif et l’instauration d’une taxation destinée à la valorisation de la création lorsque l’origine des œuvres utilisées par l’IA ne peut être déterminée.

III. Les obligations de transparence et la régulation européenne

Au niveau européen, le règlement sur l’intelligence artificielle (l’IA Act) impose des obligations de transparence aux fournisseurs de systèmes d’IA générative. Ceux-ci doivent notamment documenter et mettre à la disposition du public un résumé suffisamment détaillé de l’utilisation des données d’entraînement protégées par le droit d’auteur. Cette exigence vise à permettre la traçabilité des œuvres utilisées et à garantir l’information des ayants droit, condition préalable à une éventuelle rémunération ou action en contrefaçon.

Le règlement identifie également des pratiques interdites (telles que le moissonnage non ciblé d’images faciales ou l’inférence d’émotions sur le lieu de travail) et encadre strictement les systèmes d’IA à haut risque, notamment dans le domaine de l’emploi et de la gestion des ressources humaines.

IV. Les perspectives d’évolution et les défis à venir

La question de la protection des œuvres générées par IA reste ouverte. Si la tendance actuelle est de refuser la qualité d’auteur à la machine, certains auteurs plaident pour une objectivation du critère d’originalité, qui permettrait, à terme, d’envisager une protection pour les créations autonomes des IA. Par ailleurs, la gestion des droits et la rémunération des ayants droit face à l’utilisation massive de leurs œuvres par les IA nécessitent la mise en place de mécanismes adaptés, fondés sur la transparence et la traçabilité.

Enfin, la régulation européenne, en cours de finalisation, devrait constituer un cadre harmonisé pour l’ensemble des États membres, tout en laissant la possibilité d’adopter des dispositions nationales plus favorables à la protection des créateurs.

En définitif, l’intelligence artificielle interroge en profondeur les principes du droit d’auteur. Si la protection des œuvres générées par IA demeure incertaine en l’absence d’intervention humaine, l’utilisation d’œuvres protégées pour l’entraînement des modèles est soumise à l’autorisation des ayants droit et à des obligations de transparence renforcées. Les évolutions législatives à venir, tant au niveau national qu’européen, devront concilier la promotion de l’innovation et la préservation des droits des créateurs.

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